RÉFUGIÉS

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RÉFUGIÉS

On a estimé à dix-neuf millions pour 1992 le nombre des réfugiés dans le monde, dont la plus grande part concerne les pays les plus pauvres. Peut-être la situation a-t-elle paru plus tragique à certaines époques, notamment aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, où les migrations forcées ont été dramatiquement nombreuses en Europe. Mais les côtés les plus inquiétants du phénomène des réfugiés sont sans doute, au-delà même de l’ampleur, la permanence et l’extension géographique.

Lorsque le système international de protection a été mis en place, en 1951, il était permis de croire que l’ère des grandes migrations de population engendrées par la guerre et les famines était définitivement close, et que le problème des réfugiés qui se posait alors n’était qu’une suite du conflit mondial, destinée à être progressivement éliminée. Les règles mises en place à cette époque visaient donc à protéger les individus victimes de persécutions politiques, ou craignant légitimement d’être victimes de telles persécutions. Inspirées par une vision européocentrique du problème, ces règles s’adressaient avant tout au réfugié politique qui, seul ou avec quelques autres personnes, demandait asile à un État.

Rétrospectivement, il est permis de dire que les gouvernements firent preuve à cette occasion d’un optimisme qui fut rapidement démenti par les faits. Les flux de réfugiés se sont multipliés et diversifiés. Les demandeurs d’asile ne fuyaient pas seulement la persécution, ils fuyaient également les guerres, les désastres écologiques comme la désertification, la famine, l’oppression sous toutes ses formes. Surtout, il s’agissait de phénomènes de masse, et non pas de quelques personnes individuellement contraintes à l’exil. Les conventions internationales, en tout premier lieu celle du 28 juillet 1951, se sont dès lors vite révélées insuffisantes, malgré certains efforts d’adaptation. Enfin, et ce n’est pas le moins important, les pays les plus riches ont progressivement adopté, parfois sous la pression de l’opinion publique, des politiques d’immigration et d’accueil plus restrictives, notamment à partir du début de la crise économique des années soixante-dix. Les déclarations généreuses n’ont pas toujours été suivies d’effets. Il n’en reste pas moins qu’un véritable système international de protection et d’assistance aux réfugiés a été mis en place, au centre duquel est le haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés.

1. L’évolution des mouvements de réfugiés

Aperçu historique

Si les déplacements de population fuyant des événements tels que la persécution religieuse ou politique, la guerre ou même la famine ont été nombreux dans l’histoire moderne – il suffit de citer comme exemple l’exil des protestants français par suite de la révocation de l’édit de Nantes ou, toujours en France, l’émigration contre-révolutionnaire –, il y a, en réalité, une différence considérable entre ces situations et celles qui ont suivi la Première Guerre mondiale.

Avant cet événement, en effet, les réfugiés, pris en tant qu’individus ou en masse, étaient accueillis dans tel ou tel pays à partir de la très ancienne tradition de l’asile, qui s’appuyait sur des considérations religieuses ou philosophiques et non pas sur le droit. L’absence quasi totale du droit est facilement explicable: la relation entre l’individu et la puissance publique (le prince ou la cité) était finalement plus personnelle que juridique, de sorte que l’essentiel était à cette époque de renouer un lien personnel de même type avec un autre prince ou une autre cité.

Tout change à partir du moment où l’État-nation devient le modèle normal de l’organisation politique. Les relations personnelles s’effacent devant les liens juridiques. L’individu qui ne peut plus se réclamer d’un État est, à l’époque moderne, dans une situation dramatique de ce seul fait. Or le réfugié est non seulement une personne déracinée, dans des conditions matérielles souvent extrêmement pénibles, mais c’est encore une personne privée de ce lien de rattachement essentiel à un État dont, cependant, elle garde la nationalité.

Comme, dès le début du XXe siècle, les déplacements forcés de population se multiplient (Grecs, Turcs et Bulgares à la suite des guerres balkaniques de 1912-1913, Polonais, Baltes, Hongrois, Allemands, Arméniens surtout – on estime leur nombre à 600 000 – après le premier conflit mondial, Russes enfin – 1 million – chassés par la révolution), comme également la communauté internationale s’organise autour de la Société des nations, celle-ci crée en 1921 un Haut-Commissariat aux réfugiés, confié au Norvégien Fridtjof Nansen, explorateur célèbre, mais aussi organisateur du rapatriement d’un demi-million de prisonniers allemands et autrichiens et d’une opération de secours à la population russe.

Malgré la faiblesse des moyens du Haut-Commissariat, l’œuvre de Nansen, jusqu’à sa mort en 1930, a été considérable. Il a d’abord créé l’ensemble des services internationaux qui firent face aux flux de réfugiés qui allaient en s’accélérant, et inspiré la création par l’Organisation internationale du travail d’un service chargé de placer les réfugiés russes sans emploi. Surtout, il a mis au point le «certificat d’identité», plus connu sous le nom de «passeport Nansen», qui servit d’abord aux réfugiés russes mais fut ensuite ouvert aux réfugiés d’autres origines. Ce document est d’une importance capitale dans l’histoire de la protection internationale des réfugiés car, pour la première fois, ceux-ci reçoivent un statut juridique qui ne les condamne ni à l’apatridie ni à un changement de nationalité. Ce passeport Nansen a été reconnu par cinquante-quatre gouvernements. Enfin, durant cette même période, plusieurs traités internationaux furent négociés qui tentèrent de régler les problèmes soulevés par l’afflux de réfugiés de toutes origines: arrangement du 12 mai 1926 relatif aux réfugiés russes et arméniens; arrangement du 30 juin 1928 relatif aux réfugiés assyriens, assyro-chaldéens et assimilés et aux réfugiés turcs. À la mort de Nansen, ses services, sous le nom d’«office Nansen», s’efforcèrent de continuer l’œuvre de leur fondateur. En particulier, ils préparèrent une convention relative au statut des réfugiés qui fut signée le 28 octobre 1928 par huit États, malgré la crise économique qui réduisait à peu de chose l’effort des gouvernements.

Le national-socialisme allait ensuite susciter un nouveau flux de réfugiés, en provenance d’Allemagne et de Sarre d’abord, d’Autriche ensuite. La convention internationale du 10 février 1938 fut spécialement adoptée à leur intention. Mais, avant même cet accord international, un haut-commissaire aux réfugiés allemands avait été institué, indépendant aussi bien de l’office Nansen que de la S.D.N. Ce haut-commissaire siégeait à Londres et recevait son financement de sources privées. La S.D.N. décida en 1938 d’unifier les services de ce Haut-Commissariat et de l’office Nansen en une institution unique, le Haut-Commissariat pour les réfugiés sous la protection de la S.D.N. En même temps était créé le Comité intergouvernemental pour les réfugiés (C.I.R.), auquel participaient trente-deux gouvernements, dont certains n’étaient pas membres de la S.D.N. Le C.I.R. fut chargé principalement des réfugiés allemands et autrichiens, puis, à partir de 1943, des réfugiés espagnols.

C’est donc en quelque sorte au coup par coup que la communauté internationale a élaboré, durant l’entre-deux-guerres, une réponse au défi que constituait le phénomène des réfugiés. Mais des lignes de force se dessinent, qui inspireront les solutions de l’après-guerre.

On estime à trente millions le nombre des personnes déplacées entre 1939 et 1945. L’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction (U.N.R.R.A., United Nations Relief and Rehabilitation Administration) a largement contribué, à la fin du conflit, à leur rapatriement. Mais, à la fin de ces opérations, un problème demeurait: plusieurs centaines de milliers de réfugiés refusaient de réintégrer leur pays, alors que d’autres arrivaient en grand nombre des pays de l’Est ou des zones d’occupation soviétique. Après des négociations difficiles, l’O.N.U., nouvellement créée, envisagea de confier à une organisation spécialisée mais provisoire le soin de s’occuper de cette population. Ce fut le mandat de l’Organisation internationale des réfugiés (O.I.R.), qui fonctionna de 1947 à 1951 malgré le faible nombre des pays membres (18 à peine sur les 54 qui constituaient alors l’O.N.U.) et malgré l’hostilité des pays de l’Est. Au total, 1 600 000 personnes environ ont été secourues par l’O.I.R.

Avant même que cette institution ne cesse ses activités, il apparut que le problème des réfugiés ne serait pas définitivement résolu lorsque le mandat de l’O.I.R. prendrait fin. Aussi, dès 1949, il fallut se résoudre à désigner l’autorité qui lui succéderait dans sa tâche. Plusieurs points de vue s’affrontaient: les pays de l’Est persistaient dans leur hostilité de principe à une protection internationale des réfugiés qui, de fait, étaient souvent leurs nationaux; les États non européens croyaient dans l’ensemble que les mouvements de réfugiés étaient destinés à se tarir car, pour eux, il ne s’agissait que d’une suite de la guerre mondiale qui devait disparaître progressivement, au fur et à mesure que l’on s’éloignerait du conflit; seuls les pays européens partageaient une vision plus pessimiste de l’avenir et ne croyaient pas à la disparition prochaine des mouvements de réfugiés. Un compromis se réalisa sur la création d’un Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, simple organe subsidiaire de l’Assemblée générale et non pas institution spécialisée. Son mandat, fixé à trois ans éventuellement renouvelables, était d’assurer la protection juridique des réfugiés et de rechercher des solutions durables permettant de mettre fin à leur situation. Si son rôle dans l’assistance matérielle aux populations déplacées n’était pas négligeable, il était cependant limité. Ses ressources financières, à l’exception de celles qui étaient affectées aux dépenses liées à son fonctionnement administratif, imputées sur le budget de l’O.N.U., étaient constituées exclusivement des contributions volontaires des États-membres.

On sait ce qu’il en a été de ces prévisions: les flux de réfugiés ne sont pas allés s’amenuisant, bien au contraire, et, plutôt qu’à la disparition du problème, c’est à sa mondialisation qu’il nous a été donné d’assister dans la période récente.

La situation actuelle

La caractéristique majeure du problème des réfugiés, aujourd’hui, au-delà de son ampleur, c’est qu’il s’étend au monde entier. Les mouvements des réfugiés ne sont plus un problème européen – l’Europe ayant cessé de «produire» des réfugiés – mais un problème mondial.

Les causes de la persistance des mouvements de réfugiés sont multiples et souvent complexes. Le processus de décolonisation, d’abord, qui ne s’est pas déroulé partout sans conflit, a engendré depuis les années cinquante un flux quasi permanent de réfugiés (Algérie, colonies portugaises d’Afrique, Afrique australe). Mais le mouvement n’a pas automatiquement cessé avec l’indépendance des anciens territoires coloniaux: dans certaines parties du monde, comme en Afrique, ce mouvement a pris une ampleur considérable, soit du fait du caractère artificiel de certaines frontières créant des problèmes de minorités (Corne de l’Afrique par exemple), soit du fait des atteintes aux droits de l’homme dont certains États nouvellement indépendants se sont rendus coupables. À ces causes s’ajoute la permanence des conflits armés depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale (on a pu calculer que le monde n’avait connu depuis cette époque que 26 jours de paix totale), ces conflits ayant provoqué d’énormes mouvements de population (guerre entre l’Inde et le Pakistan lors de l’indépendance du Bangladesh, Afghanistan...). Il faut ajouter que la pauvreté, la famine ou des catastrophes telles que la désertification ou la déforestation de certaines régions ont également été la cause de nombreuses migrations.

Le problème des réfugiés a dès lors changé de nature. Il n’est plus lié à une situation très exceptionnelle (la guerre mondiale) mais apparaît au contraire comme une donnée permanente de la vie internationale, affectant la quasi-totalité des continents. L’Afrique (principalement à l’est et au sud), l’Asie (Afghanistan, péninsule indochinoise), l’Amérique latine (principalement en Amérique centrale) sont devenues les plus importantes régions d’origine des réfugiés. Mais l’Europe ou l’Amérique du Nord n’en sont pas moins concernées par le problème: si, en effet, elles ne sont pas à l’origine de mouvements de population, ces régions riches sont seules à même d’offrir une solution durable au problème des réfugiés, soit en les accueillant sur leur sol, soit encore en prenant financièrement en charge l’installation des populations réfugiées dans les pays les plus pauvres. L’idée s’est progressivement développée d’un véritable «partage du fardeau» entre les différents États constituant la communauté internationale, les uns, plus proches géographiquement de l’État d’origine des réfugiés les accueillant sur leurs territoires, souvent à titre temporaire (on parle de «premier accueil» ou de «refuge temporaire»), les autres, plus éloignés, offrant leur appui financier ou des possibilités de réinstallation. Au total, c’est l’ensemble des États qui est concerné par n’importe quel mouvement de population cherchant refuge hors de son pays d’origine.

Il en résulte une conséquence importante et cependant souvent inaperçue. Si, en effet, la protection juridique du réfugié demeure essentiellement de la compétence du haut-commissaire, l’assistance à ce même réfugié nécessite une action collective des États, et donc une négociation multilatérale impliquant l’État d’origine, les États d’accueil et les États contributeurs. Ce type de conférence se rencontre de plus en plus fréquemment depuis 1979 et le relatif succès de la «réunion internationale sur les réfugiés et personnes déplacées en Asie du Sud-Est» (voir, à titre d’exemples, les deux «conférences internationales sur l’assistance aux réfugiés en Afrique» – C.I.A.R.A. I et II – de 1981 et 1984).

Dans la description de la situation actuelle des réfugiés dans le monde, il convient encore de mentionner le cas très particulier des Palestiniens, qui échappe largement à la problématique des réfugiés. Après la première guerre israélo-arabe consécutive à la proclamation unilatérale de l’État d’Israël, en 1948, une population d’origine palestinienne, estimée à un million de personnes environ, s’est réfugiée dans les États arabes voisins, Transjordanie, Liban, Syrie et dans la bande de Gaza. En l’attente d’une solution politique à leurs problèmes, les Palestiniens reçurent de ces États et de l’O.N.U. une assistance provisoire. L’O.N.U. a créé successivement deux organismes spécialisés dont le dernier est l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine (U.N.R.W.A.). Les Palestiniens n’ont jamais compté parmi les réfugiés entrant dans la compétence du Haut-Commissariat; leur situation n’est pas exactement celle du réfugié au sens le plus général du terme, au centre d’une sorte de triangle formé par l’État d’origine, l’État d’accueil et la communauté internationale, dès lors qu’il n’y a pas d’État palestinien. Aussi, malgré leur nombre important mais difficile à estimer avec précision (entre deux et trois millions de personnes), malgré une situation matérielle souvent dramatique et identique à celle des autres réfugiés, il serait erroné de considérer le problème palestinien en termes classiques d’asile ou de protection.

2. Instruments internationaux

Parallèlement à la création du Haut-Commissariat, au début des années cinquante, l’Organisation des Nations unies s’est attachée à fixer un statut juridique unique pour l’ensemble des réfugiés. Les conventions internationales de l’entre-deux-guerres ne concernaient en effet que certains réfugiés, distingués à raison de leur origine (russe, assyrienne, allemande) et le bénéfice ne pouvait en être automatiquement étendu à tous les réfugiés.

C’est l’objet de la convention des Nations unies relative au statut des réfugiés, signée à Genève le 28 juillet 1951, amendée par le protocole relatif au statut des réfugiés adopté le 31 janvier 1967, que d’établir un statut général. Cent deux États ont adhéré à l’un ou l’autre de ces deux traités qui contiennent une définition générale du réfugié et définissent le traitement minimal qui lui est applicable; ils établissent également le fondement juridique de la coopération entre le H.C.R. et les États parties à la convention et/ou au protocole. D’autres traités internationaux à portée universelle peuvent, à un titre ou à un autre, intéresser le sort des réfugiés: les deux conventions sur l’apatridie (1954 et 1961), la IVe convention de Genève du 12 août 1949 sur la protection de la population civile et le protocole additionnel I du 8 juin 1977, ou encore les deux pactes des Nations unies adoptés le 16 décembre 1966, l’un relatif aux droits civils et politiques, l’autre aux droits économiques et sociaux.

À cet ensemble déjà impressionnant s’ajoutent d’autres instruments internationaux qui, sans être directement obligatoires, ont une incidence non négligeable sur l’évolution du droit international des réfugiés. Il s’agit, par exemple, des résolutions solennelles de l’Assemblée générale de l’O.N.U. (souvent qualifiées de déclarations), comme la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 ou encore la Déclaration des Nations unies sur l’asile territorial du 14 décembre 1967. Mais il s’agit aussi d’instruments émanant d’autorités internationales plus spécialisées, telles les conclusions adoptées par le comité exécutif du H.C.R., qui traitent de tous les aspects de la situation des réfugiés et dont certaines ont eu une grande importance, comme la conclusion 22, adoptée en 1981, relative à la protection des personnes en quête d’asile en cas d’arrivées massives.

Il ne faut pas non plus oublier que, dans un cadre régional cette fois, d’autres traités internationaux et résolutions d’organisations internationales ont été à l’origine de progrès importants, de façon directe ou indirecte. La convention de l’O.U.A. régissant les aspects propres aux problèmes des réfugiés en Afrique (10 sept. 1969), la convention interaméricaine sur l’asile territorial (28 mars 1954), ou l’accord européen sur le transfert de la responsabilité à l’égard des réfugiés (16 oct. 1980) sont des exemples de traités internationaux à portée régionale traitant directement de la situation des réfugiés. Indirectement, des traités tels que la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (4 nov. 1950), la convention américaine relative aux droits de l’homme (dite «pacte de San José», 22 nov. 1969), ou la charte africaine des droits de l’homme et des peuples (juin 1981) offrent des cadres de solution pour certains problèmes particulièrement aigus, comme l’expulsion du réfugié du territoire sur lequel il a été accueilli, qui est assimilé, dans certaines conditions, par la commission européenne des droits de l’homme, à un traitement inhumain contraire à la convention de 1950. On retrouve également dans le cadre régional des résolutions ou recommandations qui, sans être juridiquement obligatoires, exercent néanmoins une grande influence sur le traitement réservé aux réfugiés. On citera comme exemples les principes relatifs au traitement des réfugiés adoptés par le comité juridique consultatif Afrique-Asie en janvier 1970 ou la recommandation R(84)-1 adoptée le 25 janvier 1984 par le comité des ministres du Conseil de l’Europe et relative à la protection des personnes remplissant les conditions de la convention de Genève qui ne sont pas formellement reconnues comme réfugiés.

Le droit international des réfugiés s’est parallèlement enrichi de règles obligatoires mais non écrites: le principe du non-refoulement en est une particulièrement importante. Plusieurs indices donnent à penser qu’il pourrait être une norme impérative de droit international général.

Malgré cet effort d’adaptation et de diversification, il n’est pas permis de dire que cet ensemble de règles est parfaitement adapté à la situation qu’il est censé régir. Malgré des évolutions récentes, ce droit demeure déterminé par la problématique européocentrique de l’immédiat après-guerre. Sur nombre de points, il ne faut donc pas s’étonner de ce qu’il ne convienne pas à une situation actuelle caractérisée, on l’a dit, par une mondialisation du problème et son extension au Tiers Monde. Plusieurs éléments essentiels du statut des réfugiés devront probablement être modifiés dans les prochaines années.

3. Les bénéficiaires du statut

Définition du réfugié

Les intentions humanitaires des États à l’origine de la convention de 1951 n’ont pas abouti à protéger toutes les personnes contraintes à l’exil. Par un jeu savant de clauses d’inclusion, d’exclusion et de cessation, la convention limite le bénéfice du statut à une certaine catégorie de réfugiés: les réfugiés politiques.

Ont droit au bénéfice du statut, tout d’abord, les personnes déjà qualifiées de réfugiés par les conventions antérieures à 1951. Y ont également droit les personnes qui se trouvent hors du pays dont elles ont la nationalité ou sur le territoire duquel elles ont leur résidence habituelle et ne peuvent ou ne veulent, pour des raisons légitimes, se réclamer de la protection de ce pays, par crainte d’y être persécutées du fait de leur race, de leur religion, de leur nationalité, de leur appartenance à un certain groupe social ou de leurs opinions politiques.

En d’autres termes, pour obtenir la reconnaissance du statut de réfugié, quatre conditions différentes sont requises du demandeur: qu’il ait franchi une frontière; qu’il ait été persécuté ou qu’il ait des raisons fondées de croire qu’il le sera; que cette persécution porte atteinte à ses droits fondamentaux; qu’il ne puisse, de ce fait, se réclamer de la protection de l’État dont il porte la nationalité ou sur le territoire duquel il a sa résidence ordinaire.

Une décision positive (dite d’éligibilité) est donc nécessaire pour que le réfugié soit formellement reconnu comme tel. Cette décision émane normalement des autorités administratives de l’État sur le territoire duquel pénètre le prétendant au statut; il peut arriver, quoique de moins en moins fréquemment, que l’État en cause confie cette compétence à un représentant du H.C.R.: la décision d’éligibilité présente alors toutes les garanties d’impartialité nécessaires. Il faut, en effet, insister sur le fait que cette décision suppose une appréciation du caractère fondé ou non de la crainte de persécution avancée par le demandeur pour justifier sa prétention à obtenir le bénéfice du statut. Malgré l’existence de normes de références, on conçoit aisément le caractère délicat, et souvent conflictuel, d’une décision positive et les conséquences dramatiques que peut avoir une décision négative, surtout lorsqu’elle est erronée.

La convention de 1951 avait prévu un autre barrage à l’entrée des personnes en quête de refuge. Le bénéfice du statut était en effet réservé aux personnes qui pouvaient craindre légitimement d’être persécutées par suite d’événements survenus avant le 1er janvier 1951. Cette limitation s’explique par la croyance dans le caractère résiduel du problème des réfugiés, et sans doute également par le souci des États de limiter leur engagement pour l’avenir. Elle a été supprimée par le protocole du 31 janvier 1967 pour les États ayant accepté ce nouveau texte. Au surplus, en 1951, les États pouvaient restreindre leur engagement à l’Europe, en choisissant entre les deux interprétations proposées par la convention des termes «événements survenus avant le 1er janvier 1951»: selon la première, il s’agissait d’événements survenus «en Europe»; selon la seconde, d’événements survenus «en Europe ou ailleurs».

La décision d’éligibilité présente une grande importance pratique: c’est d’elle que dépend le bénéfice effectif du statut de réfugié. Elle est réservée aux réfugiés susceptibles d’être persécutés pour les raisons susmentionnées. Mais ceux-là ne sont pas les seuls à avoir besoin de protection ou d’assistance. Dès lors, l’un des problèmes majeurs, aujourd’hui, est de savoir comment étendre cette protection conséquente à la décision d’éligibilité à des personnes qui ne peuvent normalement prétendre à celle-ci.

Personnes déplacées et quasi-réfugiés

L’Assemblée générale de l’O.N.U. a très vite aperçu les limites du mandat du haut-commissaire, compétent pour les seuls réfugiés stricto sensu. Elle a donc autorisé – et même invité – le H.C.R. à user de ses «bons offices» dans certaines circonstances où celui-ci ne pouvait pas intervenir sur la base des instruments internationaux traditionnels. Progressivement, l’Assemblée en est venue à utiliser dans ses résolutions la terminologie complexe mais pleine de sens de «réfugiés et personnes déplacées», reconnaissant par là qu’il était nécessaire, dans certaines situations, d’étendre la protection internationale à de nouvelles catégories de migrants.

L’une de ces catégories est très certainement composée par les personnes qui fuient les situations de guerre ou de violence, qui relèvent habituellement des conventions de Genève du 12 août 1949 et de leurs protocoles additionnels du 8 juin 1977. Il est maintenant très largement admis, à la suite notamment de la convention africaine de 1969, que ces «réfugiés de guerre» peuvent être assimilés aux réfugiés structo sensu. Or c’est là une extension importante, si l’on considère que, ces dernières années, les guerres ou conflits armés de toute nature ont constitué l’une des toutes premières causes des exodes massifs (Bangladesh, Afrique australe, Amérique centrale, Afghanistan).

En fait, l’un des efforts des organisations ou autorités internationales compétentes est d’étendre la protection traditionnellement accordée aux réfugiés à toutes les personnes qui en ont besoin. Le comité exécutif du H.C.R. a ainsi défini des «normes minimales humanitaires de base» que, selon lui, il est nécessaire d’appliquer dans les principales circonstances vécues par les demandeurs d’asile (conclusion no 22, 1981). Le Conseil de l’Europe a, pour sa part, imaginé le concept de «réfugié de facto», qui recouvre la situation des personnes qui remplissent les conditions exigées par la convention de 1951 pour bénéficier du statut et qui, pour une raison quelconque, ne peuvent ou ne veulent pas entreprendre la procédure de l’éligibilité.

L’Organisation des États américains a également prévu, en 1985, l’élargissement de la protection internationale à des personnes qui n’ont cependant pas droit au statut. Les deux cas extrêmes de ce mouvement d’extension sont sans doute ceux où la protection internationale est accordée avant même l’exode (arrangement conclu en 1979 entre le H.C.R. et le Vietnam pour faciliter le départ ordonné des candidats à l’exil) ou après le retour volontaire dans le pays d’origine (dans toutes ces opérations de rapatriement volontaire, le H.C.R. est amené à exercer une certaine surveillance alors que le réfugié est revenu dans son pays).

Il reste que, si ces quasi-réfugiés ou nouveaux réfugiés ont été admis au bénéfice d’une protection internationale minimale, il n’en va pas nécessairement ainsi pour toutes les personnes contraintes à l’exil. Le migrant économique, qui recherche à l’étranger un travail qu’il n’a pas dans son pays d’origine, ou qui attend de son exil de meilleures conditions de vie, ne peut prétendre au bénéfice d’une protection internationale: il continue en effet de bénéficier de la protection de l’État dont il a la nationalité. Les pays riches veillent soigneusement à ce qu’il n’y ait, sur ce point, aucun détournement de la réglementation internationale, au moins depuis le début de la crise économique.

Les différentes catégories de réfugiés

Il n’est pas possible de réserver un traitement identique, et donc d’appliquer les mêmes règles, aux différentes catégories de réfugiés. Certaines ont un besoin accru de protection ou d’assistance. C’est notamment le cas des femmes réfugiées qui, outre les souffrances du déracinement, sont souvent victimes d’agressions, de viols ou encore contraintes à la prostitution. Le problème est d’autant plus grave que les femmes constituent la majorité de la population réfugiée. Des programmes spéciaux de protection ont été prévus à leur intention, et il a été admis que les femmes victimes de traitements cruels et inhumains pour avoir «transgressé les coutumes de la communauté où elles vivent» et, de ce fait, en quête d’asile pouvaient être considérées pour cela comme entrant dans la définition générale du réfugié (conclusion du comité exécutif no 39, 1985). Les enfants réfugiés posent également des problèmes spécifiques, en particulier lorsqu’ils ne sont pas accompagnés par leurs parents: la preuve de l’état civil est souvent difficile à rapporter et, selon le comité exécutif encore (conclusion no 24, 1981), il convient de tout faire pour retrouver la famille proche avant que ne soit envisagée l’adoption, c’est-à-dire la rupture avec la famille naturelle.

Les circonstances de l’exil peuvent également impliquer un traitement différent. Ainsi, les personnes en quête d’asile en détresse en mer (boat people ) ont posé de redoutables problèmes, notamment en Asie du Sud-Est. Les réfugiés de la mer de Chine en provenance du Vietnam ont attiré sur eux l’attention de l’opinion mondiale à la fois par l’ampleur (près d’un million de personnes) et les circonstances particulièrement dramatiques de leur exode. Au-delà des préoccupations d’ordre humanitaire, fondamentales en l’occurrence, le problème posé par cette catégorie de personnes en quête d’asile est le résultat de la confrontation de nécessités contradictoires. Le sauvetage en mer, en pratique souvent nécessaire, s’effectue conformément aux droit et usages maritimes. De la sorte, ce sont souvent plusieurs États qui sont concernés par le sort des boat people : l’État d’origine, l’État du pavillon, l’État où le navire effectue sa première escale à la suite du sauvetage et, le cas échéant, l’État qui offre une possibilité de réinstallation. Cette pluralité favorise à l’évidence les pratiques restrictives, et spécialement le refus d’admission sur le territoire de l’État où le demandeur d’asile tente de pénétrer après avoir été recueilli. Quelques cas extrêmes de refus de sauvetage en mer ont été signalés, humainement et juridiquement condamnables, mais explicables du fait de cet enchevêtrement de responsabilités.

On signalera enfin le cas, souvent dramatique, des «réfugiés sans pays d’asile» ou «réfugiés en orbite». On considère généralement que la personne en quête d’asile doit demander le bénéfice du statut de réfugié à l’État sur le territoire duquel elle pénètre en provenance directe de son pays d’origine. Lorsque cela n’est pas possible, voire en cas de refus de la demande, si le candidat à l’asile s’adresse à un autre État, celui-ci estimera souvent que la situation ne relève pas de sa responsabilité, mais de celle de l’État primitivement saisi. Le réfugié est alors sans pays d’asile. Un accord européen sur le transfert de la responsabilité à l’égard des réfugiés a été conclu en 1980: il vise à régler le cas des réfugiés s’établissant régulièrement dans un pays tiers succédant à celui qui leur avait d’abord donné asile et ne fournit ainsi qu’une solution partielle au problème posé.

4. La protection

Dans un monde structuré autour de l’État-nation, la situation du réfugié, dépourvu de la protection de l’État dont il garde – au moins provisoirement – la nationalité, est, on l’a dit, particulièrement dramatique. La fonction de protection dévolue au H.C.R. par son statut et la convention de 1951 a pour but de remédier, autant qu’il est possible, à cet état de fait. Mais, avant même d’atteindre cet objectif, la communauté internationale doit assurer la sécurité du réfugié en lui assurant l’asile.

Le principe du non-refoulement

La règle, qualifiée de principe fondamental, du non-refoulement joue, dans le système international de protection des réfugiés, un rôle tout à fait important. Elle interdit, en effet, le renvoi d’une personne (y compris par la non-admission à la frontière) dans un État où sa vie et sa sécurité pourraient être en danger. À un quelconque degré, le non-refoulement implique l’admission de celui qui n’est encore qu’un demandeur d’asile sur le territoire de l’État auquel il demande refuge. Aucune protection ne peut réellement se concevoir sans cette dimension territoriale ou géographique, qui seule donne son sens à la protection juridique. Le non-refoulement est en quelque sorte le fondement même du système de protection. Il est inscrit à l’article 33 de la convention du 28 juillet 1951, qui le réserve normalement aux réfugiés. Si l’interprétation restrictive est possible, et a même été souvent utilisée, il est clair que le principe du non-refoulement doit être applicable au demandeur d’asile avant même qu’il ne bénéficie d’une décision positive d’éligibilité, sous peine de perdre une bonne partie de son efficacité. C’est ainsi, d’ailleurs, qu’il est compris par le Haut-Commissariat. Cette importance particulière du non-refoulement est nettement soulignée par le haut-commissaire et le comité exécutif qui ont, à plusieurs reprises, admis ou affirmé que le principe du non-refoulement constituait, ou était en voie de constituer, une norme impérative de droit international au sens de la convention de Vienne sur le droit des traités, dotée en conséquence d’une valeur exceptionnelle.

Dans l’ensemble – et il convient particulièrement de mettre ce fait en évidence car la charge effective du non-refoulement peut en certaines circonstances se révéler très lourde –, les États respectent leurs obligations, même s’il est toujours possible de relever ici ou là quelques violations qui passent d’ailleurs rarement inaperçues. C’est là très certainement l’un des éléments les plus encourageants dans la situation actuelle, caractérisée le plus souvent par des retours en arrière mettant en cause les acquis les plus solides, tel l’asile, qui constitue cependant une tradition ancienne.

L’asile

L’asile, tel qu’il est actuellement conçu, est le produit d’une très longue histoire, mettant en avant les sentiments d’humanité les plus nobles appuyés par des considérations religieuses, morales, philosophiques et même politiques. Deux dimensions se combinent en lui, avec pour résultat un régime juridique passablement déconcertant pour le profane. Il y a d’abord, comme dans l’idée de nonrefoulement, une dimension spatiale de l’asile qui implique en effet que la personne qui en bénéficie soit admise sur un territoire où sa vie et sa sécurité ne seront plus en danger. Mais à ce premier élément s’ajoute celui que constitue la protection que l’État s’engage à apporter à celui auquel il accorde l’asile. Cet engagement peut être très lourd, et on conçoit qu’un État ne s’y résolve que difficilement.

En fait, malgré la terminologie traditionnellement utilisée, il n’existe pas de droit d’asile, si l’on entend par là le droit qu’aurait une personne d’obtenir refuge et protection de la part d’un État déterminé. Il n’existe, selon les instruments internationaux en vigueur, que, d’une part, pour les individus, le droit de rechercher l’asile et éventuellement d’en bénéficier, d’autre part, pour les États, celui de l’accorder de façon discrétionnaire. Le droit d’asile n’est donc en aucune façon un droit à l’asile.

Cette perspective suppose toutefois que l’État auquel l’asile est demandé ait une pleine liberté de choix entre l’octroi et le refus de l’asile. Ce n’est pas toujours le cas. L’une des caractéristiques des flux actuels de réfugiés est qu’ils constituent un phénomène de masse regroupant plusieurs milliers d’individus, parfois même plusieurs millions. Or, précisément, dans de telles circonstances, il n’existe aucune alternative concevable et l’État (ou les États) voisin(s) de la source du flux est (sont) dans l’obligation pratique de recevoir la population déplacée. La question s’est alors posée de savoir si cette obligation de fait était également une obligation de droit. C’est de cette interrogation qu’est né le concept d’asile ou de refuge temporaire, associant l’obligation de recevoir la population qui le demande à un régime de protection plus restreint que celui qu’implique le concept d’asile lato sensu, avec cette conséquence que s’instaure une véritable division du travail (le «partage du fardeau») entre pays de premier asile ou de refuge temporaire et pays offrant les solutions durables, telle la réinstallation. Si la tendance existe, en particulier depuis les événements de 1979 en Asie du Sud-Est, elle ne va pas sans crainte ou résistance. Certains redoutent, en effet, que l’on introduise dans le droit une possibilité de remise en cause des institutions les mieux établies, et d’abord de l’asile lui-même. Les États, poussés par une opinion publique prompte à la xénophobie, pourraient, en se satisfaisant du provisoire, s’exonérer de leurs obligations les plus contraignantes. Le risque existe, mais il est aussi permis de voir dans l’obligation d’asile ou de refuge temporaire un véritable progrès, ou, au minimum, la prolongation de l’obligation de non-refoulement visant à sauvegarder l’essentiel, c’est-à-dire la vie et la sécurité des demandeurs d’asile. Le débat est sur ce point loin d’être terminé.

Contenu de la protection

Il n’est pas possible d’aller ici au-delà d’une description sommaire de la protection accordée au réfugié, une fois la décision d’éligibilité acquise. L’idée générale qui l’inspire est de faire du réfugié un étranger privilégié dont le statut se rapproche de celui des nationaux, dans toute la mesure du possible, compte tenu de la responsabilité particulière de l’État d’asile à son égard.

C’est donc normalement la loi du pays d’asile qui réglera son statut personnel (mariage, filiation...) sous réserve des droits que le réfugié pourrait tenir d’une autre législation (convention de 1951, art. 12). Il a accès aux tribunaux plus facilement qu’un autre étranger (convention, art. 16). Les questions touchant à son logement doivent être réglées de façon au moins aussi favorable que celle qui est appliquée aux étrangers en général (convention, art. 21). Il en va de même pour ce qui est de l’accès au marché du travail (professions salariées, non salariées et libérales). En fait, le réfugié bénéficie presque d’une clause de l’étranger le plus favorisé.

Parfois, même, son statut le rapproche des nationaux du pays d’asile: pour ce qui est des charges fiscales, par exemple, il ne doit pas être exigé de lui plus que d’un national (convention, art. 29).

En outre, le réfugié est garanti contre certains risques. Il ne peut lui être reproché d’être entré illégalement sur le territoire du pays d’asile (convention, art. 31). Son expulsion est en principe entourée de garanties particulières (convention, art. 32).

Enfin, il peut attendre de l’État qui lui a accordé asile une «aide administrative»: lorsque l’exercice d’un droit requiert le concours d’une autorité administrative, le réfugié se retournera vers celle de l’État d’asile. Cette aide comporte notamment la fourniture de documents d’identité ou de titres de voyage.

On comprend dès lors ce qu’il faut bien appeler l’effet pervers du statut de réfugié. Parce qu’il fait de son bénéficiaire un étranger particulièrement privilégié, il est souvent réclamé par des personnes qui n’y ont pas droit mais en recherchent seulement les avantages, jetant ainsi la suspicion sur l’ensemble des demandeurs d’asile.

5. L’assistance

Si la protection est essentiellement juridique, l’assistance est avant tout matérielle. Elle vise à soulager la misère qui accompagne, dans la plupart des cas, les souffrances psychologiques et morales du déracinement. Son administration est particulièrement complexe à décrire, car elle est le fait d’une multitude d’organisations (intergouvernementales, comme le H.C.R., ou non gouvernementales), de services publics, d’associations privées. On s’en tiendra donc ici à la description de ce que fait le Haut-Commissariat, en rappelant que ce n’est pas là toute l’assistance aux réfugiés et en soulignant que cette assistance est souvent dispensée non pas directement par le H.C.R. lui-même mais par des organisations caritatives qui lui servent d’intermédiaires.

Cette assistance s’organise autour de programmes généraux et de programmees spéciaux dont le montant a atteint, en 1986, respectivement 281 et 160 millions de dollars. Ces programmes sont financés par des contributions volontaires. Il est donc compréhensible que, dans un contexte général de crise financière du système des Nations unies, les problèmes du H.C.R. soient à cet égard particulièrement aigus. Quoi qu’il en soit, on peut systématiser les activités d’assistance autour de trois axes distincts:

– Les secours d’urgence forment le premier d’entre eux. Il s’agit de pourvoir aux besoins essentiels des réfugiés lorsqu’ils ne sont pas satisfaits, et c’est souvent le cas: vivres, soins médicaux, logements ou abris. Il ne s’agit ici que d’assurer la survie des réfugiés dans certaines situations d’extrême urgence. Le programme alimentaire mondial a ainsi estimé à 700 000 tonnes le total des vivres nécessaires à ce type d’assistance en 1987 (pour ce qui le concerne).

– L’assistance prend également la forme de fourniture de services destinés à assurer aux réfugiés une vie à peu près décente. Un effort très important est consenti en matière d’éducation, en coopération avec l’U.N.E.S.C.O., l’O.U.A., le programme d’enseignement et de formation des Nations unies pour l’Afrique australe et certaines organisations caritatives. L’assistance juridique vise à aider les réfugiés dans l’accomplissement de certaines formalités administratives ou dans certaines situations délicates (lorsqu’ils sont l’objet de poursuites en rapport avec leur condition de réfugié).

– L’assistance a aussi pour but de permettre aux réfugiés de trouver des solutions durables à leurs problèmes. Dans le vocabulaire du H.C.R., cette expression de «solutions durables» renvoie au rapatriement volontaire des réfugiés dans leur pays d’origine, à leur intégration sur place dans le pays qui leur a d’abord donné asile ou à la réinstallation dans un autre État lorsque aucune des deux solutions précédentes n’est possible. Différents programmes ont été conçus en vue d’organiser ou de surveiller la mise en œuvre de l’une ou l’autre de ces solutions durables, spécialement lorsqu’il s’agit de rapatriement volontaire.

6. Les solutions durables

La situation de réfugié est normalement provisoire. L’événement qui a motivé son exil est en effet appelé à disparaître dans des délais plus ou moins longs, et le réfugié retournera alors dans son pays d’origine. Si tel n’est pas le cas, il est probable que le réfugié sera amené à envisager son installation définitive dans un autre pays et à prendre une nouvelle nationalité, cessant par là d’être déraciné.

L’une des fonctions essentielles du haut-commissaire est «de rechercher des solutions permanentes au problème des réfugiés, en aidant les gouvernements et, sous réserve de l’approbation des gouvernements intéressés, les organisations privées à faciliter le rapatriement librement consenti de ces réfugiés ou leur assimilation dans de nouvelles communautés nationales». Ces dispositions extraites du statut de 1951 ne doivent cependant pas faire illusion: le haut-commissaire ne dispose pas des moyens nécessaires à la mise en œuvre de véritables solutions durables. Les événements à l’origine des flux de réfugiés (persécutions, troubles, guerres, etc.) échappent à son action ou à son influence; or seul l’arrêt de ces événements peut faire disparaître le problème. Il est donc, au sens fort du terme, la solution permanente ou durable au problème des réfugiés. Or, aux termes de son statut, «l’activité du haut-commissaire ne comporte aucun caractère politique: elle est humanitaire et sociale...». Toutefois, le comité exécutif, dans sa conclusion no 40, en 1985, a estimé le mandat du haut-commissaire «suffisant pour lui permettre de promouvoir le rapatriement librement consenti en prenant des initiatives à cette fin, en favorisant le dialogue entre les principales parties...». Pour l’essentiel, cependant, l’expression «solutions durables» désigne, dans le vocabulaire du H.C.R., les aspects humanitaires et sociaux de ces questions.

Le rapatriement volontaire

On considère généralement le rapatriement volontaire comme la meilleure des solutions durables au problème des réfugiés. Elle est même parfois la seule praticable, comme dans les cas d’arrivées massives où il est presque impossible à l’État d’asile ou à la communauté internationale de réinstaller la totalité de cette population. Mais ce n’est pas une solution facile, ni même toujours possible. Les événements qui ont été à l’origine de l’exode doivent avoir disparu pour que le rapatriement volontaire soit réalisable.

Le comité exécutif se fonde, dans son analyse de cette question, sur le droit que la Déclaration universelle des droits de l’homme accorde à toute personne de quitter tout pays, y compris le sien, et d’y retourner éventuellement. Il est essentiel que ce droit s’exerce en pleine liberté, et c’est une fonction essentielle du H.C.R. que d’y veiller avant même que de l’organiser concrètement. Des groupes ad hoc, à vocation consultative, et des commissions tripartites réunissant des représentants du H.C.R., de l’État d’accueil et de l’État d’origine sont d’utilisation fréquente. Savoir à quel moment l’opération de rapatriement volontaire peut être considérée comme terminée est d’une importance cruciale: il faut absolument éviter, en effet, que l’État qui accueille à nouveau ses nationaux un moment exilés n’en profite pas pour reprendre une politique de persécution ou de discrimination à leur égard. Le seul moyen de s’en assurer est de reconnaître au H.C.R. «le droit légitime de se soucier des conséquences du retour», jusqu’au moment où il estimera que la population rapatriée ne court plus aucun risque. Cette surveillance est évidemment difficile à faire accepter malgré les appels à la coopération internationale et la prudence du haut-commissaire à ce propos.

En dépit de ces difficultés, le rapatriement volontaire ne peut être considéré comme une solution exceptionnelle. Tout au contraire, l’histoire montre que, souvent, les réfugiés finissent par revenir dans leur pays d’origine. On peut en donner deux exemples probants: à la fin de la Seconde Guerre mondiale, la très grande majorité de la population déplacée en Europe s’est réinstallée dans son pays d’origine; il en a été de même après la guerre indo-pakistanaise consécutive à l’indépendance du Bangladesh. Plus récemment, de vastes programmes de rapatriement volontaire ont été lancés, spécialement en Amérique centrale.

L’intégration sur place

Si le rapatriement volontaire n’est pas possible, l’intégration sur place peut être retenue comme une autre solution durable. Si les gouvernements ne sont pas obligés d’accorder l’asile à qui le leur demande, ils font souvent preuve de générosité. La population locale aussi, qui aide les réfugiés d’autant plus spontanément et facilement qu’ils lui sont proches. Cette proximité est l’une des grandes chances de l’intégration sur place, qui nécessite souvent une assistance internationale appropriée.

La réinstallation

Dans certains cas (en Europe, avec les réfugiés hongrois, en Asie du Sud-Est ou en Amérique latine), les pays de premier asile ne pouvaient pas accueillir définitivement les réfugiés et ceux-ci souhaitaient souvent se réinstaller dans les États tiers. La crise économique a conduit la plupart des pays riches à limiter sévèrement le nombre des réfugiés admis à ce titre, ce qui a pour conséquence de rendre le refuge temporaire plus difficile et surtout plus long. L’Europe, l’une des régions de réinstallation les plus demandées par les réfugiés, n’accueille pas plus de 5 p. 100 du nombre total de ceux-ci. Ces attitudes restrictives forment l’un des principaux obstacles à la réinstallation.

La protection et l’assistance internationales aux réfugiés sont loins d’être sans reproches. Elles ont le mérite d’exister. Il ne faut pourtant pas se dissimuler que ce système est aujourd’hui en crise. Alors que les problèmes vont croissant, les attitudes restrictives de certains États, l’inadéquation de certaines règles et peut-être également les effets de la crise qui touche le système des Nations unies amènent à s’interroger sur leur avenir.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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